Les jumelages, acteurs de la construction européenne
À l’issue de la Seconde guerre mondiale, les ravages du conflit ont provoqué un profond traumatisme chez les peuples, qui n’aspirent alors qu’à la paix et à la cohésion entre les nations. L’Europe est à l’heure de la reconstruction et de la fraternisation. Le 18 avril 1951, la Belgique, la France, la République fédérale d’Allemagne, les Pays-Bas, le Luxembourg et l ’Italie se rencontrent à Paris pour signer le traité marquant la création de la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier (CECA).
C’est cette même année qu’est créée le Conseil des Communes et des Régions d’Europe (CCRE). Alors que de nombreuses chartes à portée internationale fleurissent, les Communes comptent bien s’intégrer pleinement à ce mouvement et l’on comprend vite l’enjeu de la participation à la construction européenne des collectivités locales qui sont plus proches des citoyens. Le 27 octobre 1955, la Commune de Saint-Gilles ratifie le texte de la Charte européenne des libertés communales, notamment sous l’impulsion du bourgmestre Paul-Henri Spaak, européen convaincu et aujourd’hui considéré comme l’un des pères de l’Europe, ainsi que de l’échevin Jacques Franck qui, à son tour bourgmestre de 1957 à 1973, demeurera l’un des porteurs du projet des jumelages par son implication au sein des réunions de travail.

[Avis à la population concernant l’intégration de Saint-Gilles à un réseau de jumelage, 1956. Dossier 49, série « Jumelages », Archives communales de Saint-Gilles.]
L’année 1956 marque l’officialisation du jumelage « en étoile » de Saint-Gilles, c’est-à-dire d’un cercle de jumelages entre plusieurs villes européennes : Puteaux (France), Offenbach-sur-le-Main (Allemagne), et le district londonien de Bethnal Green (aujourd’hui Tower Hamlets). Le réseau s’étend ensuite aux communes de Mödling (Autriche), Velletri (Italie), Esch-sur-Alzette (Grand-Duché de Luxembourg), Tilburg (Pays-Bas) et Zemun (Serbie).
Créer des liens entre les citoyens
Les cérémonies de jumelage sont la démonstration publique de ces liens et vont permettre à la population de participer à part entière à ce projet. Ces cérémonies sont organisées respectivement dans chaque commune. À Saint-Gilles, les premières festivités se déroulent en mai 1958 et commencent par le cortège des délégations parcourant les rues saint-gilloises afin de rejoindre la place Van Meenen où est organisée la prestation de serment. S’en suivent une représentation théâtrale, des épreuves sportives ainsi qu’un grand bal populaire pour conclure les célébrations.
Les rencontres entre villes jumelées sont l’occasion de mettre à l’honneur les associations communales. Lors des cérémonies de mai 1958, ce ne sont pas moins de trente sociétés sportives, patriotiques, politiques et culturelles saint-gilloises qui participent à l’évènement. De nombreux citoyens se joignent également aux délégations lors des déplacements dans les villes-sœurs.
Le sport est un excellent fédérateur et permet chaque année l’organisation de nombreux tournois entre clubs sportifs des villes jumelées. Football, basketball, boxe, natation, arts martiaux, athlétisme, tennis de table… Les clubs saint-gillois représentent la commune dans une multitude de sports et les rencontres inter-communales rencontrent un vif succès.
[Affiche du tournoi de tennis de table à l’occasion de la coupe d’Europe des villes jumelées, 1971. Série « Jumelages », Archives communales de Saint-Gilles.]
Les liens des villes jumelées permettent également de se recueillir ensemble. Très tôt, les jumelages permettent la mise en relation d’associations commémoratives comme l’atteste la participation d’anciens combattants, de résistants et victimes de guerre de Saint-Gilles au Congrès des anciens combattants organisé en novembre 1963 à Puteaux. Si de telles occasions sont un moment de recueillement, elles sont également propices à l’échange d’idées et de réflexions grâce à l’organisation de colloques sur des thématiques précises.
[Serment de jumelage entre les sections de Belgique et de Loire-Atlantique de la Fédération française des Combattants Volontaires des guerres de 1914-1918 et 1939-1945, des Théâtres d’Opérations Extérieures et des Forces de la Résistance, 1969. Série « Jumelages », Archives communales de Saint-Gilles.]
De nombreux projets communs visant la jeunesse se développent rapidement : dès l’année 1958, la commune de Saint-Gilles se voit attribuer la présidence et le secrétariat de la commission des échanges interscolaires et culturels. L’accent va être mis sur le développement des liens entre les jeunes grâce aux activités scolaires : des échanges de cahiers, de dessins, de photographies et de correspondance sont réalisés entre plusieurs écoles communales. Ces projets vont d’ailleurs mener à une véritable réflexion sur l’apprentissage des langues étrangères pour faciliter la communication entre les élèves.
Des camps internationaux se tiennent chaque année dans l’une des communes : c’est l’occasion pour des jeunes de 13 à 18 ans de se côtoyer le temps d’un séjour. Le premier camp international se tient à Saint-Gilles, dans les bâtiments de la Roseraie. En plus de cela, les élèves sont impliqués dans des échanges en immersion ou encore dans les fêtes scolaires, où ils présentent par exemple des danses ou des démonstrations de gymnastique.
Ainsi, les jumelages créent une véritable effervescence d’un point de vue associatif, scolaire, sportif et culturel et permet la création de liens intercommunaux, que ce soit entre individus ou collectifs.
[Représentation lors des cérémonies de jumelage à Esch-sur-Alzette (Grand-Duché de Luxembourg), 1962. Série « Jumelages », Archives communales de Saint-Gilles.]
La coopération entre élus
Si les événements publics sont la forme la plus visible des liens entre les villes jumelées, il ne faut pas minimiser le rôle de la collaboration entre les élus, qui sera très prolifique au cours des années 1960 et 1970. Au-delà des spécificités locales, le fonctionnement d’une commune a l’avantage de reposer sur les mêmes piliers à travers de nombreux pays, avec des compétences et fonctions analogues. La correspondance entre les bourgmestres de Saint-Gilles et leurs homologues montre des échanges qui vont au-delà des événements spécifiques aux jumelages, avec des retours d’expérience précieux sur des projets communaux, par exemple sur la construction d’une maison de retraite.
À cette correspondance régulière s’ajoutent des réunions de groupes de travail, constitués des délégations représentant chaque commune. Elles ont pour objectif de discuter des affaires concernant le jumelage en général mais aussi de projets plus spécifiques. On y décide par exemple le programme des évènements culturels et sportifs de l’année, les modalités des échanges interscolaires ou encore de l’organisation des camps internationaux à destination de la jeunesse. Les rencontres ayant lieu plusieurs fois par an, elles permettent des retours réguliers sur les activités en cours et de procéder rapidement à des ajustements s’ils s’avèrent nécessaires. Ce sont des moments de contacts privilégiés entre les mandataires locaux, qui permet de maintenir et accroître la vitalité de ce jumelage en étoile.
[Photographie des membres du groupe de travail des 12, 13 et 14 novembre à Tower Hamlets (Grande-Bretagne), 1982. Série « Jumelages », Archives communales de Saint-Gilles.]
Évolutions
Si à l’heure actuelle, les jumelages sont devenus une partie intégrante de la vie des communes, les communes pionnières se lançaient dans une expérience qu’elles ont elles-mêmes contribué à façonner au fil des décennies. Ils étaient 1200 maires et délégués communaux à se rendre à Venise pour participer aux deuxièmes États Généraux des Communes d’Europe d’octobre 1954 ; on compte aujourd’hui environ vingt mille jumelages sur le continent européen. La coopération internationale continue de se développer en évoluant vers de nouvelles formes de solidarité se distinguant des piliers classiques des jumelages de la deuxième moitié du XXe siècle. À Saint-Gilles, un partenariat avec la commune marocaine de Berkane a vu le jour en 2007, portant notamment sur le développement de la politique sociale. En 2014, c’est la Ville de Likasi (République Démocratique du Congo) qui débute une collaboration avec la Commune, avec pour objectif l’amélioration de la gestion des services d’État Civil et Population.
Sources et bibliographie
Archives de la Commune de Saint-Gilles, inventaire des Affaires générales, série « Jumelages ».
Archives de la Commune de Saint-Gilles, registres des bulletins communaux des années 1955 et 1956.
Solidarité internationale – Saint Gilles. (2019, 26 juin), consulté en mars 2024. https://stgilles.brussels/services/cooperation-nord-sud/
CCRE (Conseil des Communes et Régions d’Europe (s. d.)., consulté en mars 2024. https://ccre.org/
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